L'Aigle jacobin

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Le bonapartisme ouvrier par Thierry Choffat

Thierry Choffat est maître de conférence à l'université de Lorraine

Politologue, il appartient à l'association française de science politique. Il est spécialiste du syndicalisme, de l'extrême gauche et de l'extrême droite, et est aussi un fin connaisseur du bonapartisme.
A ce titre, il préside le centre d'études et de recherches sur le bonapartisme (CERB). 

Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Thierry_Choffat

 

 

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« N’oubliez pas que nous devons tout au Peuple

 et que sans lui, nous ne sommes rien »

La Reine Hortense à son fils Louis-Napoléon Bonaparte

 

 

Se pencher sur la définition du bonapartisme est déjà un exercice complexe. Se demander s’il est à gauche ou à droite devient un problème insoluble. Mais s’intéresser à sa base sociologique reste de l’ordre de l’impossible.

Tout d’abord parce que le courant impérialiste a connu des changements idéologiques et électoraux récurrents. Le bonapartisme des années 1810 n’a rien à voir avec celui du Second Empire ou des débuts de la Troisième République.

Les enquêtes sur les soutiens, les électeurs, les militants sont rares et parcellaires. Trop souvent, on pense que les appuis venaient essentiellement de la noblesse d’Empire, des anciens dignitaires, fonctionnaires et grognards. Electoralement, les paysans ont longtemps constitué un solide socle électoral au bonapartisme. Au début du vingtième siècle, les comités plébiscitaires étaient surtout composés d’artisans, de commerçants, de petits employés… Par la suite, les étudiants et jeunes lycéens ou travailleurs seront surreprésentés parmi les militants de la cause napoléonienne.

 

Il reste à étudier la question des rapports entre les ouvriers et le bonapartisme.

 

 

 

Un bonapartisme originel d’orientation sociale

 

Les érudits rappelleront que le premier texte d’inspiration nettement sociale a été pris en 1813. Le décret du 3 janvier 1813 interdisait en effet de faire descendre les enfants au fond des mines. Des prémices de protection sociale sont mis en place. Surtout, le Second Empire multipliera les lois sociales.

Fidèle à ses convictions et à ses ouvrages programmatiques comme L’Extinction du Paupérisme ou Des idées napoléoniennes, Napoléon III avait réussi à séduire la classe ouvrière et à lui permettre de s’organiser. Les avancées sociales sont nombreuses, du droit de grève à la retraite des fonctionnaires, aux caisses de retraite, en passant par les sociétés de secours mutuels, la réforme de l’apprentissage, le développement de l’instruction publique, l’assistance judiciaire, le droit de réunion, les sociétés coopératives, la loi sur l’assainissement des logements insalubres, les fourneaux économiques, ou encore les chambres syndicales… De manière encore plus visible, les ouvriers vivent mieux, mangent mieux, sont mieux logés, en particulier en raison du fort développement économique dû à la politique saint-simonienne du régime.

L’ambition sociale de Napoléon III est haute. En cela il rejoint ce qu’il avait proclamé dans ces écrits de jeunesse : « La classe ouvrière n’a rien, il faut la rendre propriétaire. Elle n'a de richesses que ses bras, il faut donner à ces bras un emploi utile pour tous. Elle est comme un peuple d'ilotes au milieu d'un peuple de sybarites. Il faut lui donner une place dans la société et attacher ses intérêts à ceux du sol. Enfin, elle est sans organisation et sans liens, sans droits et sans avenir : il faut lui donner des droits et un avenir, et la relever à ses propres yeux par l'association, l'éducation, la discipline. ».

 

Constitué sous forme de courant politique dès la première campagne d’Italie, le bonapartisme s’incarne dans un chef charismatique, un homme providentiel. Mais il n’est pas que cette incarnation dans un général, vainqueur militaire doublé d’un diplomate et d’un chef d’Etat. Dès les origines, des valeurs fortes incarnent une notion idéologique originale, située au-dessus des clans traditionnels, du clivage gauche-droite, renouvelant l’offre et rajeunissant les vieilles doctrines. Le bonapartisme implique un Etat fort, avec un pouvoir exécutif, autoritaire,  légitimé par le Peuple, exerçant une véritable prépondérance sur les assemblées, tout en négligeant pas la démocratie et au contraire en la développant par la technique des plébiscites. L’Etat souverain, disposant d’institutions saines et efficaces, centralisées, jacobines, doit être ambitieux, moderne, rassemblant les Français et les amenant derrière un chef qui montre une voie, un projet. Cette pensée relève à la fois du corpus de droite comme celui de gauche. Il est en mesure d’intéresser à la fois le prolétariat cherchant une meilleure protection qu’un patronat désireux d’un cadre économique stable et fort. Historiquement d’ailleurs, par ses soutiens et ses électeurs, le bonapartisme a su rassembler au-delà des clivages idéologiques et sociologiques traditionnels.

 

Ainsi, au retour de l’Ile d’Elbe, les modestes paysans, artisans et ouvriers accueillent avec ferveur Napoléon et lui font un excellent accueil, notamment à Lyon et Grenoble.

 

Lors des élections complémentaires de juin et septembre 1848, les observateurs notent un pourcentage important d’ouvriers dans l’électorat de Louis-Napoléon Bonaparte élu dans quatre puis dans cinq départements. Aux présidentielles de décembre 1848, on retrouve cet engouement autant chez les porcelainiers de Limoges que chez les ouvriers du Morvan, de Roubaix ou de Tourcoing, les mineurs mosellans ou les métallurgistes du Creusot ou de Blanzy. Le monde rural est souvent privilégié mais les citadins ne sont pas exclus.

 

Par la suite, Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République au suffrage universel direct en 1848, complète l’édifice idéologique en y associant le progrès social, le développement de la démocratie par la pratique référendaire et la multiplication des élections, législatives, ou municipales. Afin de montrer la diversité voire les contradictions du bonapartisme, Napoléon III disait lui-même « Je suis socialiste, l’Impératrice est légitimiste, Morny est orléaniste, Jérôme est républicain. Il n’y a que Persigny qui soit bonapartiste, mais il est fou. » Plus qu’un bon mot, la phrase est quasiment une synthèse du rassemblement de diverses pensées derrière un seul homme.

A la chute du Second Empire, le bonapartisme manque de repère. Certes, il a s’appuie sur un beau passé, sur un bilan économique, social, administratif, institutionnel sain. Mais pour la première fois, il a besoin d’un parti pour exposer ses idées. Après la mort du Prince Impérial en 1879, il lui manque aussi un chef. Dès lors, le courant va se scinder en deux. Il ne s’agit pas uniquement d’un conflit de personnes entre le Prince Jérôme Napoléon (Plon-Plon) et son fils Victor. Plus profondément, la rupture est idéologique.

 

 

Le Jérômisme ou « le bonapartisme rouge »

 

Plon Plon personnifie un bonapartisme « rouge » qui professe un républicanisme et une orientation sociale affirmée. A vrai dire, il ne repousse pas catégoriquement le rétablissement d’un Empire mais il estime que la première étape doit être la prise du pouvoir des institutions républicaines. Il croit les Français attachés à la République. Mais lui élu à la tête du pays se transformerait assez vite, bien évidemment avec l’assentiment populaire, en monarque, dont la légitimité serait renouvelée par plébiscites réguliers : « La France qui repousserait un maître, attend un chef ».

 

Par ailleurs, ce bonapartisme « de la Montagne », se veut jacobin, progressiste, socialisant parfois, anticlérical souvent. Non pas que le Prince soit athée. Mais il entend surtout séparer les questions religieuses des questions politiques. Il estime que les options et les pratiques religieuses restent du domaine du privé, de l’intime. En un sens, le Jérômisme est populaire, démocratique, social, anticlérical, assez proche des républicains, voire des radicaux. D’ailleurs, aux élections municipales de 1884, en l’absence de candidats bonapartistes, le Prince Jérôme Napoléon appelle à voter en faveur des radicaux. Son option est de se faire élire président de la République, si possible pour dix ans, au suffrage universel.

 

Son manifeste du 16 janvier 1883 peut être considéré comme une véritable synthèse de ce bonapartisme républicain de la fin du dix-neuvième siècle. Le texte affiché à Paris lui vaut un emprisonnement mais aussi le respect des bonapartistes de tous bords. Il n’empêche que son orientation trop républicaine lui aliène sur le long terme les impérialistes les plus conservateurs qui choisissent le propre fils de Plon-Plon, Victor, comme prétendant et chef de file.

 

Par ailleurs, très vite par progressisme ou par refus de s’allier avec les royalistes et conservateurs, certains bonapartistes historiques tels Raoul Duval ou Dugué de la Fauconnerie vont se rallier à la République tandis que les électeurs issus de classe populaire, paysans, artisans ou ouvriers, prennent vite l’habitude de voter en faveur des candidats radicaux.

 

 

Jules Amigues et la version ouvrière du bonapartisme

  

En définitive, ce manifeste de 1883 aurait pu également être celui des Victoriens, tenants d’un bonapartisme « blanc ». Eux aussi sont partisans des élections au suffrage universel et réclament la consultation directe du peuple français. Et pourtant, bien des différences sont visibles. Les partisans du Prince Victor sont plutôt les notables du parti bonapartiste, la plupart des élus, des parlementaires, des grands noms de l’Empire. Idéologiquement et par leurs origines sociales et familiales, ils se rapprochent des conservateurs et des royalistes. Politiquement, les « blancs » sont souvent assez cléricaux, se classent à droite de l’échiquier, entendent lutter contre les républicains et les radicaux au pouvoir, s’adressent plus aux paysans qu’aux ouvriers, aux employés ou aux classes modestes. Impérialistes plus que plébiscitaires, leur objectif n’est pas nécessairement de passer par une élection présidentielle pour amener le Prince Victor Napoléon au pouvoir.  Surtout, la stratégie électorale les éloigne des Jérômistes. Tandis que les rouges sont prompts à s’allier aux radicaux, les blancs ne voient de salut qu’avec les conservateurs et monarchistes. La République est leur ennemi par définition puisqu’elle a renversé Napoléon III le 4 septembre 1870.

 

Et pourtant, c’est dans cette tendance conservatrice que va se retrouver l’un des principaux tenants du bonapartisme ouvrier. Jules Amigues (1829-1883) était essentiellement un journaliste qui collabora à plusieurs journaux impérialistes comme L’Espérance nationale ou Le Petit Caporal… En 1877, il parvint à se faire élire député bonapartiste dans la 2e circonscription du Nord mais fut invalidé en mai 1878. Amigues était spécifiquement intéressé par la question ouvrière et était convaincu que les ouvriers ne pouvaient pas se séparer du courant napoléonien tant le Second Empire lui avait été favorable par ses réformes audacieuses. Il était persuadé que les ouvriers avaient vocation à se rallier aux candidats de l’Appel au Peuple. Resté à Paris durant la Commune, il appartint au Comité de l’Union Nationale du Commerce et de l’Industrie. Surtout, il essaya en vain de sauver la vie de Louis Rossel, un des principaux chefs militaires de la Commune, et aurait collaboré à Qui Vive. Il écrivit plusieurs brochures sur ces points dont « Les aveux d’un conspirateur bonapartiste, histoires d’hier pour servir à l’histoire de demain », « Lettres au Peuple », « Comment l’Empire reviendra : épître au peuple » et surtout « L’Empire et les ouvriers : épître au peuple ».


Dans L’Empire et les ouvriers, Amigues rappelle le bilan social de Napoléon III et démontre que la République a cassé la dynamique des réformes. Il s’adresse « avec confiance à ces honnêtes travailleurs dont le mensonge républicain n’a pu encore, malgré de détestables efforts, pervertir la native loyauté ». (…)

 

« Quiconque est de bonne foi, quiconque se rappelle ce qu'était, il y a trente ans, la condition des ouvriers des champs et de la ville et ce qu'elle était devenue à la fin de l'Empire, ne peut nier que l'Empire n'ait opéré une véritable révolution économique et sociale, au profit des travailleurs. Cette révolution - qui n'est point achevée, mais que le prochain Empire achèvera - se présente sous trois aspects divers ou, pour parler plus exactement, a procédé par trois ordres de mesures différentes :

1° Les mesures d'ordre politique ou économique général, qui, sans viser expressément les classes ouvrières, ont exercé une influence sur leur situation; — tels sont, en première ligne, les traités de commerce, qui ont introduit en France le régime du libre-échange ;

2° Les mesures d'ordre civil ou social concernant les classes ouvrières dans leur généralité; — tels sont, par exemple : la loi sur les coalitions, la suppression du livret des ouvriers, l'abolition de l'article 1781;

3° Les mesures d'ordre économique spécial ou de sollicitude publique, prises en vue de satisfaire à des besoins déterminés ou d'alléger des souffrances individuelles; — telles sont : les subventions accordées à diverses entreprises intéressant les classes laborieuses; les institutions hospitalières ou de bienfaisance, etc. » [1]

Amigues finit sa brochure par un vibrant « Sous la République, personne ne songe à toi, si ce n'est au moment des élections, quand il s'agit de te mettre dedans pour obtenir ton vote ; on te promet tout, et tu n'as rien; le travail manque; l'angoisse est assise à ton foyer ; ta femme est triste; tes enfants ont faim ; et la République te donne à choisir : si tu patientes, la mort par la misère; si tu te révoltes, la mort par le fusil. C'est-à-dire qu'en somme, bon peuple, vaincu à l'extérieur, avec l'Empire, dans la funeste journée de Sedan, tu as consommé toi-même ta défaite à l'intérieur, dans cette folle journée du 4 septembre, où tu t'es fait l'allié de tes pires ennemis, les faiseurs révolutionnaires et les avocats soi-disant républicains, contre l'Empire démocratique, qui était ton œuvre et ta force, et par qui tu régnais ! Ah ! malheureux peuple ouvrier, marchepied de toutes les ambitions, instrument de toutes les intrigues, dupe de tous les mensonges, éternel et aveugle croyant à toutes les mystifications du gobelet révolutionnaire, tu t'es laissé follement enivrer de haine contre César, qui t'aimait d'amitié tendre ; tu t'es fait fouailler par la main sèche et dure d'un Sylla en lunettes d'or; tu t'es laissé prendre aux œillades équivoques de quelque faux Brutus qui chante, du haut des balcons, la sérénade à la fraternité, pendant que celle-ci grouille et se morfond et se crotte dans la rue ; tu écoutes aujourd'hui la voix des hideuses sirènes révolutionnaires qui de loin, par-dessus les frontières, te chantent des chants de haine et de mort, de vengeance et d'incendie !... » [2]

 
Jules Amigues s’activera pour ramener les ouvriers autour de l’idée napoléonienne. Il multipliera les actions et les discours. En vain souvent. Il existe néanmoins des indices montrant l’intérêt de la classe ouvrière pour le renouveau bonapartiste. Ainsi, Albert Richard, militant de l’Association Internationale du Travail (L’Internationale) de Lyon se rapproche de l’Appel au Peuple estimant que l’émancipation du prolétariat ne passe pas obligatoirement par la République. Il est reçu par Napoléon III en 1872 et constate qu’ils partagent des opinions communes. Mais le dirigeant proudhonien ne semble pas avoir été suivi par ses proches. Il n’empêche qu’Amigues a montré une voie possible. Les ouvriers pouvaient encore se souvenir des avancées sociales du Second Empire.

Mieux, il propose de nouvelles réformes audacieuses, comme l’instruction primaire obligatoire, ce que déjà Napoléon III et Victor Duruy avaient envisagé mais ne pouvant pas l’imposer face aux réticences et se « contentant » d’établir la gratuité scolaire et l’obligation d’établir une école dans chaque commune et une école de filles dans chaque village de plus de 500 habitants. Jules Amigues préconise également un ordre corporatif où le peuple choisissait ses mandants dans le cadre de l’organisation professionnelle, la liberté des associations, le droit à l’assistance, la gratuité de la justice pour les plus pauvres, l’abolition des taxes sur les biens de consommation courante, remplacées par un impôt sur le revenu… Pour diffuser ses idées auprès des classes populaires, il lance le 14 juillet 1872 L’Espérance tirant à 7.000 exemplaires.

 

 

Le petit peuple bonapartiste

 

En 1988, Bernard Ménager avait travaillé sur le courant populaire du bonapartisme. Son ouvrage « Les Napoléon du peuple » (Aubier, 445 pages), suivait le fil napoléonien des origines aux débuts du vingtième siècle. Il y démontre que la mouvance avait des atouts auprès des petits paysans, artisans, employés ou ouvriers. Malheureusement, le parti et ses dirigeants préférèrent l’alliance avec les conservateurs ce qui éloigna l’électorat populaire.

 

Que ce soit à l’enterrement de Napoléon III en 1873 ou à la cérémonie de la majorité du Prince Impérial l’année suivante, de fortes délégations d’ouvriers sont attestées, preuve que l’idée napoléonienne restait encore très présente parmi ces catégories sociales.

 

Déjà après 1815, les condamnations pour activités, chansons et cris séditieux frappent essentiellement un « petit peuple bonapartiste » composé d’ouvriers, d’anciens soldats, de domestiques ou d’artisans. Il ne faut pas négliger cette composante populaire au sein de la mouvance impérialiste, autant parmi les électeurs que des militants des comités les plus activistes.

 

Ce bonapartisme populaire, volontiers anticlérical peut s’appuyer sur la légende napoléonienne, sur les chansons de Béranger ou les images d’Epinal. Mais il s’explique aussi par la politique éminemment sociale du Second Empire et par la proximité humaine entre les Français et les Napoléon. La propagande bonapartiste se réfère régulièrement à cette particularité de la quatrième dynastie. Tout au long de son histoire, le bonapartisme a utilisé des vecteurs simples de propagande, insistant sur quelques points forts, l’héritage napoléonien, les symboles, l’appel au peuple, les avancées sociales ou encore l’autorité. Sous le Second Empire par exemple, le journal Le Peuple de Duvernois tirait à 25.000 exemplaires. Le quotidien visait un lectorat populaire favorable au gouvernement. Après 1873, on distribuait surtout des photographies ou des gravures du Prince Impérial. Nul besoin de développer un programme précis, les Français comprenaient fort bien que l’atout du mouvement était son prétendant et son lien avec l’histoire qui, débutée en 1796 en Italie, s’était poursuivie au gré des régimes, des victoires militaires et des réalisations civiles et sociales.

 

Hormis Jules Amigues, on peut d’ailleurs regretter l’absence de toute nouvelle proposition programmatique. La mouvance se contente le plus souvent de reprendre les bilans des Empires ou d’exploiter l’imagerie. Le procédé est simple mais avec le développement du socialisme et les lois sociales qui commencent à voir le jour autour des années 1900, cela ne suffit plus. Il y a bien quelques projets innovants comme les idées de participation chères à Napoléon III et au député bonapartiste Laroche-Joubert, mais l’Appel au Peuple ne les détaille guère. L’alliance franche entre le capital et le travail est rarement citée dans les professions de foi des candidats impérialistes.

 

Il n’empêche qu’on note un véritable renouvellement des militants et des cadres du parti à partir du vingtième siècle. Peu à peu, les notables, anciens fonctionnaires, dignitaires du Second Empire ou les membres de la noblesse impériale laissent la place à des hommes d’origine plus modeste, venus au bonapartisme plus par conviction personnelle que par fidélité ou atavisme.

 

Etudiant les soixante sous-comités bonapartistes provinciaux chargés de la propagande et des questions électorales en 1905, Bernard Ménager indique que « leur recrutement se démocratise. Ainsi dans le Puy-de-Dôme le président est un restaurateur et les deux vice-présidents cordonnier et comptable. » poursuivant « la clientèle se recrute plutôt dans les milieux de la petite bourgeoisie des commerçants et des employés. ». [3] Dans le département du Nord par exemple se reconstitue un comité impérialiste de Lille en 1901. Sous l’impulsion de l’avocat Reuflet, il « recrute surtout chez les employés et les étudiants des Facultés catholiques, puis il finit par toucher des ouvriers victimes de la crise économique, notamment ans la partie flamande de l’arrondissement de Lille, le log de la vallée de la Lys et de la frontière belge, là où les ouvriers sont moins réceptifs au message socialiste. Il essaime par ailleurs à Douai et à Boulogne. Par contre les anciens foyers du bonapartisme populaire du Valenciennois et du Cambrésis, où la gauche règne désormais sans partage, demeurent à l’écart de ce renouveau bonapartiste. » [4]

 

En 1913, la police estime que « la propagande commence à mordre seulement dans certains départements sur l’élément ouvrier. » [5]

 

En dépit des atouts qu’il avait dans la classe ouvrière, et plus globalement auprès des milieux populaires, le bonapartisme n’a pas su les exploiter. En s’alliant avec les conservateurs et royalistes, il perdit son originalité et sa force.

 

 

Thierry Choffat

Président du Centre d’Etudes

et de Recherches sur le Bonapartisme




[1] Jules Amigues, L’Empire et les ouvriers, 1874, page 4.

[2] Ibid page 30

[3] Bernard Ménager, Les Napoléon du peuple, 1988, Aubier, 445 p., page 351.

[4] Ibid page 352.

[5] Archives nationales F 7 12 – 868, rapport de police du 4 mai 1913.




02/06/2019
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