L'Aigle jacobin

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Analyse des élections "européennes" du 7 prairial CCXXVII (26 mai 2019)

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Si les élections européennes sont traditionnellement vues comme des élections à faible enjeu, notamment en raison des modestes pouvoirs du « parlement européen » face à la commission, le scrutin qui a eu lieu il y a quelques jours est très intéressant. Il permet tout d’abord de dresser une photographie politique de la Nation et de faire un état des lieux des forces en présence. Puisque ce scrutin appelait l’ensemble des citoyens des pays membres de l’UE aux urnes, il est possible de comparer notre paysage politique à celui de nos voisins. Enfin, une étude des nouveaux rapports de force au sein du parlement traduira l’évolution de l’influence française.

 

 

 

Les conséquences sur les forces politiques françaises

 

 

Une victoire du Rassemblement « national » en trompe l’œil

 

 

Le parti de Marine Le Pen l’a emporté, c’est incontestable puisqu’il totalise plus de 200 000 voix d’avance  sur la liste menée par Nathalie Loiseau. Ce n’est toutefois pas un fait inédit dans l’histoire. En effet, le parti d’extrême droite avait déjà remporté le scrutin d’il y a cinq ans.

 

 

Néanmoins, à bien y regarder de plus près, cette victoire est loin d’être aussi éclatante qu’il n’y paraît et ce pour au moins deux raisons :

 

- Tout d’abord, rien n’oblige le président de la République à infléchir sa politique. Il n’a plus aucune légitimité face au Peuple car il a clairement fait de ce vote un enjeu national, mais il dispose malheureusement de la légalité pour lui.

 

- En outre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit ici d’une élection à un seul tour, c’est-à-dire où l’on peut être le plus fort sans réaliser d’alliance. La réalité de nos élections nationales est toute autre puisqu’elles se déroulent en deux tours. Dans cette configuration, le RN ne pourrait pas l’emporter car il ne dispose d’aucune réserve de voix, contrairement à LAREM qui trouvera toujours quelques bonnes âmes, de gauche ou de droite, « pour faire barrage à l’extrême-droite », selon l’expression consacrée, et lui apporter l’appoint nécessaire pour sortir vainqueur d’un tel duel. En somme, malgré une deuxième place, la stratégie de l’ordre contre le chaos s’est avérée payante.

 

 

Toutefois, à y regarder de plus près, on peut constater que le pari présidentiel est extrêmement risqué car, au-delà du danger qu’il fait courir à la France, « le chaos » grignote, petit à petit son retard. Deux facteurs le prouvent :

 

- D’une part, le vote en faveur du R.N. progresse, par rapport aux dernières « européennes », de près de 570 000 voix (il faut comparer les scrutins de nature similaire), ce qui prouve la montée de l’exaspération populaire.

 

- D’autre part, l’électorat de LAREM s’est lui aussi radicalisé. Désormais, il n’est plus le parti des classes moyennes aisées et des métropolitains, heureux bénéficiaires de la mondialisation, il est devenu un véritable néo parti de l’ordre face aux gilets jaunes. Macron n’est plus Pompidou, il s’est transformé en Adolphe Thiers ! Le vote LAREM est donc bien un pur vote de classe. Pour le moment, la bourgeoisie orléano-girondine résiste encore… mais pour combien de temps ?

 

 

 

La poussée verte

 

 

Beaucoup ont été surpris par le score de la liste emmenée par Yannick Jadot. Pourtant plusieurs facteurs peuvent l’expliquer :

 

- Les Verts sont d’habituels « bons clients » des élections « européennes » puisqu’ils avaient déjà récolté près de 9 % des suffrages en 2014 et même plus de 16 % en 2009.

 

- L’électorat écologiste a une conscience sociétale aigüe : il a pris en compte l’importance de la question environnementale. Malheureusement, pour lui, cet enjeu se suffit à lui-même. Contrairement à l’ancienne gauche qui structurait sa pensée autour de la question sociale, il n’est plus question ici que de verdir le capitalisme, c’est-à-dire d’accepter l’ordre établi.

 

 

Si l’on prend en considération le dernier aspect, il faut se rendre à l’évidence : sociologiquement, l’électorat écologiste n’est pas si éloigné de l’électorat originel de LAREM. De plus, les Verts portent haut un régionaliste mortifère. En somme, là où LAREM serait l’expression de la résistance orléano-girondine, les Verts en incarneraient le mouvement.

 

 

 

L’effondrement de la droite

 

 

Même s’il était difficile de prédire une chute si spectaculaire pour l’ancienne UMP, ce résultat est somme toute logique. Le mouvement de Laurent Wauquiez était en réalité écartelé entre ses deux tendances les plus extrêmes : d’un côté le néo-juppéisme macronien et de l’autre, le souverainisme RN incarné par Thierry Mariani.

 

 

De plus, il y avait une incohérence de taille entre le discours plutôt souverainiste de François-Xavier Bellamy et la présence d’européistes notoires, qui sévissaient déjà lors de l’adoption du traité de Lisbonne, sur sa liste.

 

 

 

L’essoufflement de la gauche 

 

 

Il est vrai que la 5ème place de Manon Aubry a dû décevoir de nombreux sympathisants de la France insoumise. Néanmoins, l’incapacité à passer des accords avec des listes idéologiquement proches reste rédhibitoire en politique. Cette observation vaut pour LFI, mais également pour le parti communiste, qui est même désormais talonné par le parti animaliste.

 

 

Cependant, le mauvais score de Mélenchon et des siens s’explique avant tout par un refus, lors de la fondation de LFI, de choisir entre une ligne antinationale et par certains côtés identitaire, incarnée par Danielle Obono notamment et ce que certains ont appelé le « populisme de gauche ». Depuis le départ de Djordje Kuzmanovic et de François Cocq, le parti a choisi et a tourné le dos à l’exigence républicaine, pire il l’a ostracisée. À titre personnel, je ne peux souhaiter qu’une évolution en sens inverse mais hélas, rien n’est moins certain.

 

 

Malgré un résultat moins mauvais que prévu, le parti socialiste continue son agonie car il souffre toujours du même mal : il reste prisonnier d’un schéma social-démocrate qui ne le mènera nulle part. En outre, il a été largement dépassé par LAREM dans son désir de former un agrégat orléano-girondin.

 

 

 

Debout la France et les partisans du Frexit

 

 

La déroute de Nicolas Dupont-Aignan s’explique par un flou programmatique entretenu et par le fait que les électeurs préféreront toujours l’original (le RN) à la copie (DLF).

 

 

Florian Philippot a perdu le match du Frexit qui l’opposait à l’UPR de François Asselineau. J’estime que cela s’explique par deux raisons principales :

 

- la tentative de monopoliser le mouvement des gilets jaunes, en déposant cette marque, a été mal perçue par des gilets jaunes particulièrement hostiles à toute forme de récupération ;

 

- Asselineau a l’avantage de la clarté car le Frexit a toujours été sa principale revendication politique. De plus, il dispose de militants extrêmement dynamiques.

 

 

 

L’abstention

 

 

Si personne n’en n’a parlé, car elle a été moins forte que prévue, il faut bien reconnaître que près de 50 % des électeurs ne se sont pas rendus aux urnes. Le refus du duel annoncé LAREM/RN en est sans doute la raison majeure. Cela dit, les causes de l’abstention sont par essence multiples et il ne faut pas nécessairement y voir l’expression d’une conscience politique affirmée. Néanmoins, c’est tout de même à ces citoyens, à ceux qui n’attendent plus rien de la politique, que nous, les jacobins, devons parler prioritairement.

 

 

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Les résultats ailleurs en Europe

 

 

 

Prusse

 

 

Malgré un net recul, qu’il convient de saluer, la coalition soutenant la chancelière allemande (CDU-CSU) est arrivée en tête outre-Rhin. Ne nous voilons pas la face, c’est une mauvaise nouvelle pour la France. En effet, Angela Merkel peut ainsi proposer un candidat tout désigné pour présider la commission européenne : son kamerad Manfred Weber.

 

 

Tout comme en France, les écologistes ont bénéficié du soutien de la bourgeoisie sociétale, ce qui leur a permis de dépasser le SPD. Ce dernier réalise le score le plus bas de son histoire. Il est important de le noter.

 

 

 

Royaume-Uni

 

 

L’analyse du scrutin dans ce pays est aisée : c’est un triomphe du parti du Brexit. Ce cas de figure est intéressant car il interdit aux européistes d’appliquer leur parade favorite : celle du double vote. Ainsi, jusqu’ici, quand un pays ne votait pas en faveur de Bruxelles, il lui était demandé de voter à nouveau, comme cela s’est notamment fait en Irlande. Cette manœuvre, d’une incroyable malhonnêteté intellectuelle, est impossible ici car les Britanniques ont réaffirmé leur attachement au Brexit.

 

 

Les conservateurs paient logiquement l’échec de Theresa May à conduire le Brexit, en finissant à une humiliante quatrième place, derrière les Libéraux-démocrates.

 

 

Les travaillistes ne tirent pas réellement avantage du recul des conservateurs car ils ont été eux-mêmes ambigus vis-à-vis du Brexit.

 

 

 

Italie

 

 

Comme les Britanniques, les Italiens ont placé largement en tête un parti hostile au fédéralisme européen puisque la Ligue de Matteo Salvini a obtenu près de 32 % des suffrages. Si l’on ajoute à ce résultat celui de ses partenaires du Mouvement Cinq étoiles, la coalition gouvernementale a recueillie près de 50 % des suffrages exprimés.

 

 

Avec un tel score, même avec un parti démocrate à près de 25 %, le chef de file du gouvernement italien a clairement les mains libres. Reste à voir quelle sera son influence sur la scène européenne.

 

 

 

Espagne

 

 

Le cas de l’Espagne est particulièrement atypique car il est le seul pays, parmi ceux évoqués dans cet article, où les socialistes arrivent non seulement en tête, mais devancent nettement la droite, représentée par le parti populaire, avec plus de 28 % des voix contre moins de 18 %.

 

 

 

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Le nouveau visage du « parlement européen »

 

 

 

 

Cette assemblée compte 751 sièges, ce qui signifie que pour avoir la majorité absolue, il faut disposer d’au moins 376 élus.

 

Lors de la prochaine législature, le groupe social-démocrate comptera 149 membres et le parti de la droite européiste 177, ce qui oblige ces deux groupes à faire des alliances, même s’ils restent les groupes les plus puissants.

 

À présent, intéressons-nous à deux groupes de moindre importance, mais qui permettront aux deux groupes évoqués précédemment de construire une majorité :

-          ADLE (libéraux) : Ce groupe, où siégeront les euro-députés de LAREM, est le troisième groupe du « parlement » avec 107 élus ;

-          Les Verts : Ce groupe, disposant du quatrième contingent de l’assemblée, peut compter sur 69 membres.

 

Même en additionnant les scores de l’ADLE et des Verts à l’un des deux principaux groupes, aucune majorité absolue ne peut se dégager :

-          Sociaux-démocrates (149) + ADLE (107) + Verts (69) = 325 sièges ;

-          Droite européiste (177) +  ADLE (107) + Verts (69) = 353 sièges.

 

Pour trouver une majorité stable, il reste donc, à ce stade, trois alternatives possibles :

 

-          Une coalition de « gauche » : Sociaux-démocrates (149) + Verts (69) + Gauche européenne (39) = 257 sièges.

Cette solution est donc impossible.

 

-          Une coalition de droite : Droite européiste (177) + ADLE (107) + Conservateurs et réformistes européens (62) = 346 sièges.

Cette solution est donc également inenvisageable, d’autant plus que les Conservateurs et réformistes européens sont certes libéraux, mais aussi et surtout euro-sceptiques.

 

-          La seule possibilité reste donc une alliance des deux groupes majoritaires, avec au moins le soutien de l’ADLE ou des Verts :

  • Sociaux-démocrates (149) + Droite européiste (177) +  ADLE (107) = 433 sièges ;
  • Sociaux-démocrates (149) + Droite européiste (177) +  Verts (69) = 395 sièges.

Si une telle majorité nous semble absurde, à nous Français, je suis persuadé que les Européistes sauront s’en satisfaire. En effet, les quatre groupes les plus importants du nouveau « parlement » sont malheureusement tous fédéralistes.

 

Enfin, on ne peut pas terminer cette analyse sans évoquer la faiblesse de l’influence française au sein de cette future assemblée. Sur l’ensemble des députés envoyés par l’Hexagone, seuls 15 siégeront dans l’un des deux plus grands groupes, la majorité rejoignant soit l’ADLE soit un groupe d’extrême-droite, condamné à être minoritaire.

 

 

Charles-Louis Schulmeister,
Le 11 prairial de l’an CCXXVII de la République française



30/05/2019
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